- Un article publié par l'Opinion -
La Chine, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Inde… sont mieux perçus que la France par les Africains francophones. Plusieurs sondages, rapports et livres récents attestent de la difficulté de Paris à trouver le bon positionnement, entre accusations d’indifférence et d’ingérence.
Les faits - Africametrics, société de sondages lancée par Bruno Jeanbart (directeur général adjoint d’Opinion Way) et Constant Nemale (patron de la chaîne Africa 24), a récemment réalisé plusieurs études d’opinion en Afrique avant la tenue des scrutins présidentiels au Niger, Bénin et Congo Brazzaville. L’image de la France arrive loin derrière ses concurrents d’Asie, d’Europe et du continent américain.
Trois sondages, un même constat. La France a perdu de son influence en Afrique francophone au profit de ses concurrents, même si l’image de Paris reste très légèrement positive. Au Bénin, 52 % des personnes interrogées par Africametrics ont une plutôt bonne opinion de l’ancienne puissance coloniale. Au Niger, c’est 53 % et au Congo Brazzaville 61 %. Pas de quoi toutefois se glorifier de tels résultats ! La France est avant-dernière dans le classement des bonnes opinions au Niger, derrière dix pays. Septième sur douze au Niger et au Congo Brazzaville. La Chine, les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, le Maroc, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont mieux perçus par les populations. « Avec 34% au total sur les 3 pays, la France est le pays qui recueille le plus de mauvaises opinions, explique Bruno Jeanbart, directeur général d’AfricaMetrics. On constate que c’est au Niger, pays à 95% musulman, que ce taux de mauvaises opinions est le plus élevé, signe que le combat contre les forces islamistes passe mal auprès d’une partie des Africains musulmans. Autre signe inquiétant, les moins de 35 ans sont les plus critiques : 37% ont une mauvaise image de la France, contre 21% des 50 ans et plus ».
Pour Antoine Glaser, la France paie le prix de son arrogance. C’est d’ailleurs le titre de son nouvel ouvrage, Arrogant comme un Français en Afrique (Fayard), qui vient juste de sortir. Pour ce spécialiste de la relation franco-africaine, la plupart des Français vivent d’ailleurs très mal l’arrivée d’autres étrangers sur le continent. « Se croyant indispensables, voire aimés, les Français n’ont toujours pas pris la mesure de l’Afrique mondialisée, justifie-t-il en parlant de ses compatriotes. Certains restent même persuadés que les Chinois, racistes, ont besoin de leur aide pour communiquer avec les Africains. »
Selon Glaser, la même arrogance conduit les dirigeants français à ne s’être jamais intéressés à l’histoire africaine et sa complexité sociale. Elle semble aujourd’hui surprise par la tentative de résurgence de royaumes et de sultanats, comme celui du Kanem-Bornou (Lac Tchad), aujourd’hui fief de Boko Haram, ou de l’Empire peul du Macina.
Kit « intervention militaire + démocratie ». Cette image détériorée de la France, les cinq derniers rapports parlementaires consacrés à l’Afrique depuis 2013 en attestent également. « En dépit des liens que la France a depuis toujours avec l’Afrique francophone, son image est aujourd’hui brouillée. Il n’est pas certain que notre pays y soit très bien vu », indiquent les travaux du député socialiste Philippe Baumel, publiés en 2015. Cet ancien coopérant reproche à Paris de ne pas s’être distancié des classes dirigeantes et de ne pas avoir apporté l’attention nécessaire aux aspirations de la jeunesse.
Même son de cloche dans le rapport des sénateurs Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux : « Non seulement la France n’a pas réussi à promouvoir les processus de démocratisation en Afrique mais, à tort ou à raison, elle est associée, dans les opinions publiques francophones et anglophones, au maintien des régimes autoritaires corrompus. »
« Quoi que la France fasse, elle se retrouve facilement montrée du doigt : qu’elle intervienne et elle est accusée de néocolonialisme, d’ingérence ; qu’elle s’abstienne, et son indifférence lui sera reprochée »
La France, qui déploie ses troupes à travers les dispositifs Barkhane, Sangaris, et ses bases militaires, est encore perçue comme le « gendarme » du continent, bien qu’elle opère dans le cadre de la légalité internationale avec le feu vert de l’ONU et de l’Union africaine, ou directement à la demande des Etats. « Quoi que la France fasse, elle se retrouve facilement montrée du doigt : qu’elle intervienne et elle est accusée de néocolonialisme, d’ingérence ; qu’elle s’abstienne, et son indifférence lui sera reprochée. On en voit aujourd’hui les illustrations dans des pays aussi divers que le Mali, la République centrafricaine ou le Cameroun », poursuit le rapport Baumel/Lorgeoux. Pour l’historien Jean-Pierre Bat, la France a perdu la bataille de l’opinion publique. « Dans son kit “intervention militaire + démocratie”, le premier élément domine dans les perceptions des Africains », explique-t-il.
Mal vue mais influente. Le recul de l’aide au développement, malgré les promesses de hausse, joue aussi en défaveur de Paris. Et la politique restrictive d’attribution des visas se révèle dramatique pour l’image de la France, non seulement auprès de la jeunesse, mais aussi des artistes et des hommes d’affaires. Le gouvernement socialiste en est conscient et a abrogé la circulaire Guéant, mais les visas sont toujours délivrés avec parcimonie.
Face à l’offensive de ses concurrents asiatiques, européens, américains et sud-américains, la France perd des parts de marché en Afrique, même si le chiffre d’affaires des entreprises françaises a progressé. Pour faire des affaires et investir, le « hub » naturel en Europe reste Londres pour les Sud-africains, et Lisbonne pour les Angolais.
Nombre de responsables politiques africains n’ont pas coupé le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale et pensent que Paris est la capitale où l’on doit faire campagne. Autre paradoxe, l’influence française reste majeure. Comme le souligne Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique au Quai d’Orsay, la France peut convoquer la Conférence de Bruxelles de mai 2013 pour la reconstruction du Mali, et réunir au sommet de l’Elysée en décembre 2013 plus de participants qu’il n’en viendra au sommet Union européenne–Afrique en avril 2014. François Hollande était l’unique invité d’honneur au cinquantenaire de l’Union africaine, ainsi qu’au 100e anniversaire du Nigeria, alors même que la France avait soutenu le Biafra dans sa guerre d’indépendance.